À propos de la Commission
En plus d'identifier les lieux, les noms géographiques jouent un rôle essentiel dans la conservation du patrimoine culturel; la plupart du temps, leur création constitue un phénomène essentiellement sociologique. L'étude des toponymes renseigne donc de façon éloquente sur les rapports entre la personne humaine et la terre. À l'instar de la nomenclature de tous les États du monde, la couverture toponymique du Québec se présente comme une image du milieu humain où, bien souvent, sont attachés les vestiges du passé. C'est ce que veut illustrer cette introduction qui, après un rapide survol de l'évolution de la toponymie du Québec, jettera un coup d'œil sur les processus dénominatifs ainsi que sur les principaux types d'entités géographiques rencontrés dans la désignation du territoire.
La nomenclature du territoire québécois puise à trois couches toponymiques principales qui sont l'autochtone, la française et l'anglaise. Chronologiquement, il convient d'examiner d'abord la couche toponymique autochtone. Les noms de lieux des populations autochtones font partie intégrante de l'héritage culturel québécois et y tiennent une place importante. En effet, en 1993, dans la nomenclature officielle du territoire, 10 441 toponymes, soit 9,6 % de la toponymie du Québec, étaient des dénominations autochtones. C'est dire que les noms abénakis, anichinabés (algonquins), attikameks (atikamekw), cris, inuit, innus, micmacs, mohawks, naskapis, wendat et wolastoqey (malécites) tiennent une bonne place dans le tissu toponymique du Québec.
Bien avant que l'homme européen ne vienne dans ce qui constitue aujourd'hui le Québec, les Premières Nations et les Inuit avaient créé et utilisé des milliers de noms pour désigner les lieux qu'ils fréquentaient. Il en est ainsi, par exemple, des noms comme Québec, Kénogami, Yamaska, Coaticook, Yamachiche, Kipawa, Oskélanéo, Rimouski, Matane, Chisasibi, Kuujjuaq, Kangirsuk..., bien connus de ceux qui sont familiers avec le Québec. Bien que, par ailleurs, un grand nombre des noms de lieux autochtones soient tombés dans l'oubli, des milliers sont encore utilisés par les populations autochtones elles-mêmes; bon nombre de ces toponymes n'ont pas encore été inventoriés. C'est que la tradition orale a souvent constitué le seul mode de transmission de ces noms de génération en génération avant qu'ils ne soient consignés dans des documents. Des cartographes, ignorant pour la plupart les langues autochtones, en ont inscrit un grand nombre sur des cartes, mais orthographiés bien souvent de façon approximative, parfois fautive. Le symbole ou caractère 8, par exemple, qui a été utilisé principalement par les missionnaires, au XVIIe siècle, a représenté la diphtongue ou ce qui ne constitue qu'une approximation phonétique du phonème algique ou iroquoien correspondant.
Ces différents facteurs font que la Commission de toponymie a été souvent confrontée aux problèmes de l'écriture, de la prononciation et de la signification des noms de lieux autochtones. Des toponymes autochtones déjà utilisés oralement depuis longtemps se sont imposés dans une forme écrite dès les XVIe et XVIIe siècles et ces premiers noms furent suivis de beaucoup d'autres jusqu'à nos jours. Pour plusieurs d'entre eux, leur graphie actuelle a été consacrée par un long usage, même si souvent elle est phonologiquement erronée. Ainsi Québec, Saguenay, Chicoutimi ne s'écrivent assurément pas dans une forme qui rend justice à la prononciation originelle de ces noms. Jusqu'au début du XXe siècle, tous les toponymes autochtones ont été transcrits en caractères latins sans qu'aucune politique précise n'ait été définie. Leur orthographe s'est donc fixée au gré des langues emprunteuses, car le français et l'anglais ne procèdent pas de la même manière pour adapter les noms d'autres langues, phonétiquement et orthographiquement. Par exemple, les noms Mascouche et Macamic sont des assimilations à la française tandis que ceux Natashquan et Shigawake représentent des assimilations à l'anglaise. Il existe même des lieux, originellement homonymes, mais qui portent aujourd'hui des noms différents à cause des langues d'adoption : Oujé-Bougoumou, Shabogamaw et Chibougamau désignent trois lieux dont les noms ont la même origine. L'étymologie et le sens de plusieurs noms de lieux autochtones restent souvent très approximatifs et bien des recherches restent à faire dans ce domaine. En plusieurs cas, même la langue n'est pas clairement identifiée.
L'écriture des noms autochtones pose aussi de délicats problèmes en raison du grand nombre de langues à considérer et de l'absence de consensus sur la normalisation de l'écriture. Consciente de la situation, la Commission de toponymie a tenu en 1979, à Québec, un atelier sur ce sujet précis et sur diverses questions s'y rattachant. De même, le Comité permanent canadien des noms géographiques a organisé un colloque à Ottawa, en 1986, sur les noms de lieux autochtones. Consciente que la normalisation de l'écriture de ces noms est encore un processus en cours, la Commission ne juge pas à propos d'imposer des règles strictes sur ce sujet et elle respecte les choix faits par les communautés autochtones elles-mêmes. À cet égard, la Commission de toponymie a comme politique de n'officialiser un nom de lieu autochtone qu'à la condition que ce nom ait été visé et recommandé par l'instance autochtone appropriée. La Commission a entrepris la publication d'une série de Cahiers sur les noms de lieux propres à chacune des nations autochtones du Québec; déjà, trois recueils ont paru, respectivement sur la toponymie des Abénakis, des Attikameks (Atikamekw) et des Naskapis. Aussi, pour l'écriture des noms autocthones que ces ouvrages consignent, l'accord des Conseils de bande de chacune de ces nations a été obtenu avant que ces Cahiers ne soient édités.
Avant d'examiner les couches toponymiques française et anglaise, il convient de dire quelques mots de la toponymie basque au Québec. Au cours du XVIe siècle surtout, les Basques français et espagnols - ceux-ci étaient souvent appelés Espagnols dans les documents - ont sillonné le golfe et le fleuve Saint-Laurent. La toponymie témoigne éloquemment de la présence de ces chasseurs de baleine et pêcheurs de morue. En effet, une centaine de noms de lieux se rapportant aux Basques ont pu être recensés jusqu'à ce jour. Il en va ainsi, par exemple, pour le nom du village gaspésien de Barachois, de l'île aux Basques, vis-à-vis de Trois-Pistoles, des îles Grande Basque et Petite Basque, à l'entrée de la baie des Sept Îles, de l'anse aux Basques, près des Escoumins, du lac du Basque et de l'anse du Chafaud aux Basques, dans Charlevoix. Et il y a les nombreux noms de lieux Orignac, Orignal et Orignaux, termes tirés du basque oregnac, cerf, et qui désignent l'élan du Canada. De plus, d'après le phonéticien basque L. Michelena, en 1961, le nom de lieu Gaspé s'expliquerait par une déformation du mot basque gerizpe, kerizpe, abri.
Par suite des découvertes et plus tard de la colonisation du territoire, la puissance des Français et des Anglais s'est imposée et leur influence s'est également traduite dans la toponymie. Aussi ne faut-il pas s'étonner si les noms de lieux en ces langues constituent les principaux apports de la couverture toponymique du Québec. Ce sont les dénominations françaises qui se sont implantées les premières et elles sont les plus nombreuses au Québec. Au nombre d'environ 80000 unités, ces noms représentent 72 % de la nomenclature officielle totale alors que la population francophone du territoire atteint 82 %. Les tout premiers toponymes français se sont fixés dès le XVIe siècle avec la venue des découvreurs, des explorateurs et des pêcheurs. Au siècle suivant, l'apport des colonisateurs, des autorités civiles et religieuses et des seigneurs notamment, a été déterminant dans l'implantation des noms français du Québec.
Plusieurs dénominations remontant au XVIe siècle sont encore en usage : Mont Royal, Île d'Orléans, Cap de Rabast, Île aux Lièvres. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les explorateurs, missionnaires, coureurs de bois ont parcouru le territoire en tous sens et ils ont baptisé des lieux. Par exemple, c'est au découvreur Samuel de Champlain que l'on doit, entre autres, les appellations Sault de Montmorency (Chute Montmorency), Rivière Champlain, Cap d'Espoir, Les Grondines, La Male Baye (La Malbaie). Des seigneurs ont laissé leur nom aux lieux qui leur avaient été concédés et ces dénominations ont survécu au Régime seigneurial. Il en est ainsi de Lanoraie, Lotbinière, Portneuf, Lachenaie et d'une foule d'autres. Aux XIXe et XXe siècles, l'implantation de nombreux noms descriptifs (Croche, Truite, Long, Vert, etc.) s'est faite spontanément alors que d'autres désignations furent l'œuvre des autorités. Lorsqu'il s'est agi, par exemple, d'attribuer des noms aux cantons de l'Abitibi, en 1907, le gouvernement a ressuscité les gloires militaires du Régime français. Ainsi s'expliquent les noms des régiments et des officiers de l'armée de Montcalm disséminés sur le territoire : La Reine, Béarn, Roussillon, Bourlamaque, Malartic, Desandrouins, Poularies, Dalquier, Destor, Villemontel, Duparquet, La Pause, La Motte, Cléricy, Figuery, Launay. Parmi les désignations dédicatoires récentes qui rappellent des personnalités de France, on trouve des noms de militaires : Pau, Joffre; d'académiciens : Bazin, Lamy; de scientifiques : Arago, Pasteur.
Les noms de lieux de langue anglaise constituent le troisième apport majeur au trésor toponymique du Québec. Cette couche est la plus récente puisqu'elle ne remonte qu'à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Avec ses 12 700 dénominations officielles, la toponymie anglaise représente 11,8 % de la couverture officielle du territoire. Quelques exemples montreront l'importance de cet apport. D'abord, très nombreux sont les noms de lieux transférés de l'Angleterre : Windsor, Sutton, Stoke, Thetford, Preston, Acton, Upton, Hull, Adstock, Orford. Parmi les toponymes transférés de l'Écosse, il convient de mentionner Aberdeen, Inverness, Thurso, Lochaber, Dundee, Athelstan, Stornoway. De l'Irlande viennent plusieurs appellations, telles que Mayo, Armagh, Coleraine, Kildare, Wexford, Kilkenny, et, du pays de Galles, Radnor et Garthby. Les Loyalistes fuyant la Révolution américaine en ont aussi fourni quelques-uns; ainsi, Danville, Dixville et New Mexico sont des noms de lieux transférés du Vermont, du New Hampshire et du Maine.
Les anthroponymes de Grande-Bretagne devenus toponymes sont également abondants. D'abord les noms de membres de la famille royale : le Grand lac Victoria honore la reine Victoria; Louiseville rappelle le souvenir de la princesse Louise, fille de cette reine du Royaume-Uni; la rivière George, baptisée en 1811 par les missionnaires United Brethren, honore la mémoire de George III. Puis vinrent les noms de politiciens et de personnages britanniques : Hincks rappelle Francis Hincks, premier ministre de Grande-Bretagne (1851-1854); Howick est lié au souvenir d'un secrétaire d'État anglais aux Colonies (1845-1862); Nelson honore l'amiral Horatio Nelson, vainqueur de la bataille de Trafalgar (1805).
En fait, depuis la Conquête, le pouvoir britannique a marqué d'une empreinte profonde les institutions et le profil socioculturel du Québec, y compris la toponymie, et cela, à la grandeur du territoire québécois. La marque de la présence britannique est donc visible dans tous les coins du Québec. Mais avec la remontée démographique et institutionnelle des Franco-Québécois, la population anglaise du Québec s'est polarisée dans certaines régions : la partie ouest de l'île de Montréal, le Pontiac, la Basse-Côte-Nord, l'Estrie, la Gaspésie et l'Outaouais. Cette population anglaise, qui représente aujourd'hui 12 % de la population, a généré et entretenu une toponymie anglaise qui caractérise ces régions. De plus, bon nombre de dénominations anglaises du Québec s'expliquent par la présence de visiteurs étrangers. Nombreux furent ceux qui ont fréquenté des clubs de chasse et de pêche, formule établie par le gouvernement du Québec. Les premiers ont vu le jour au milieu des années 1880; il y avait environ 1500 clubs privés au début de 1970 dont certains s'étendaient sur 500 km2 de superficie. Jusqu'à ce que le gouvernement modifie cette formule, en 1978, ces visiteurs étrangers, dont la plupart venaient de la partie est des États-Unis, ont attribué un grand nombre de noms anglais aux lacs, cours d'eau et fosses à saumon, dont beaucoup sont passés dans l'usage.
Un des principes guidant le travail de la Commission consiste à respecter les noms consacrés par un usage constant et exclusif, quelle qu'en soit la langue. Ce faisant, elle contribue à maintenir un équilibre heureux entre, d'une part, les noms qui témoignent des apports successifs des peuples et nations indigènes et exogènes qui ont peuplé ou fréquenté le Québec et, d'autre part, une toponymie dynamique qui reflète les situations et les valeurs de notre temps. À cet égard, il est utile de mentionner que la Commission procède à une francisation relative de la toponymie du Québec, tout particulièrement dans les désignations nouvelles. La Commission doit en effet réaliser un certain travail de rattrapage; il faut se rappeler que le pourcentage de noms géographiques français, au Québec, est légèrement inférieur au pourcentage de la population francophone, l'écart étant de 9 %.
Les noms de lieux considérés sous l'angle de leur origine proviennent soit de créations spontanées, soit d'impositions délibérées. Les toponymes de création spontanée et populaire sont le plus souvent descriptifs, du type Lac Creux ou Île Ronde, par exemple. Ils peuvent être banals lorsque répétés de multiples fois. Cependant, il existe des dénominations descriptives qui présentent un certain contenu géographique. Il n'y a qu'à citer Lac des Seize Îles, Lac Emmuraillé ou bien Chute Écumeuse pour s'en convaincre. En ce qui concerne les noms de lieux imposés, les autorités constituées se sont inspirées de plusieurs modes de désignation dont les principaux sont les appellations dédicatoires, les transferts et les dénominations religieuses. Quelques explications, souvent illustrées d'exemples, montreront les principaux processus dénominatifs appliqués aux noms de lieux autochtones, français et anglais du Québec.
Depuis la découverte du territoire, les multiples contacts établis entre les autochtones et les Européens devaient naturellement permettre la connaissance, par ceux-ci, des toponymes autochtones, en grande majorité d'origine descriptive, et d'en favoriser la consécration. Ainsi, les noms micmac Témiscouata et anichinabé (algonquin) Témiscamingue signifient eau ou lac profond. Le nom de la ville de Shawinigan vient du terme descriptif anichinabé (algonquin) ashawenikam, portage sur la crête. Dans le toponyme Magog, certains ont vu le pays de Magog où régnait le prince légendaire Gog selon le prophète Ézéchiel. La vérité est tout autre. Le nom Magog, désignant notamment une ville située sur les rives du lac Memphrémagog, provient d'un mot algique de langue abénakise qui signifie étendue d'eau. Le terme innu Kénogami, qui détermine un canton et un lac, a le sens de lac long. La très grande majorité des noms de lieux inuit sont également descriptifs et c'est là une de leurs principales caractéristiques. Ainsi, Kuujjuaq signifie grande rivière et Lac Tasialujjuaq, très grand lac.
Les noms descriptifs français font leur apparition dans les relations du découvreur Jacques Cartier au XVIe siècle : Blanc Sablon, Sept Ysles. Il disait de la baye de Chaleur : « leur terre est en challeur plus temperée que la terre d'Espaigne »; et de l'isle es Couldres : « y a plusieurs couldres franches, que treuvasmes fort chargez de noziles ». De même, dans ses récits, Champlain, à qui l'on doit les noms Cap à l'Aigle, Pointe aux Alloüettes et Baye du Gouffre, disait-il du cap de Tourmente : « la mer y eslève comme si elle était plaine ». Cette manière de nommer a, pour ainsi dire, fait école et les noms descriptifs, créés d'autorité, sont légion au Québec.
Mais à côté de cette nomenclature française imposée, il s'en est créé une autre plus spontanée. Trafiquants de fourrures, explorateurs, coureurs de bois, colons et autres utilisateurs du territoire enrichirent la toponymie de beaux noms descriptifs et évocateurs. Il en est ainsi pour Pointe-Claire. On raconte que cette pointe s'avançant dans le lac Saint-Louis, près de Montréal, permettait la « clarté du jour » de se prolonger plus tard qu'ailleurs. Plusieurs toponymes descriptifs sont des formations dialectales. Les noms de localités nous en fournissent de nombreux exemples : Montréal, mont Royal; Le Bic, le pic; La Malbaie, la mauvaise baie; La Tuque, de l'ancien français tuc, sommet; Lacolle est un descendant du bas latin collis, colline.
La nomenclature de langue anglaise du Québec contient aussi une foule de toponymes descriptifs. La liste serait longue, à vouloir les énumérer tous. On peut mentionner, à titre indicatif, Island Brook, Black Cape, Blue Sea, East Cape, Pike River, Otter Lake. D'autres toponymes de cette catégorie ont une valeur descriptive plus évocatrice : Owl's Head, Smoky, False, Hog's Back, Pipestone, pierre pour faire des calumets, Red Mill, Wolf Bay, Trout River, Sand Hill, White Deer, etc.
Quelques toponymes du Québec sont des acronymes. C'est le cas du nom de la ville de Rouyn-Noranda, dont le deuxième élément résulte de la contraction de Nord et de Canada. De même, la ville de Delson tire son appellation du télescopage de Delaware et de Hudson, la première et la dernière syllabe ayant été respectivement retenues. Le toponyme Normétal, transposé du nom d'une société minière à une municipalité, s'explique par les mots nord et métallurgique.
On rencontre aussi des désignations systémiques dans la toponymie québécoise. Nous avons mentionné précédemment des noms de cantons de la région abitibienne groupés sémantiquement et qui rappellent des régiments et des officiers de l'armée du général Montcalm. Des systèmes alphabétiques, numériques ou autres se rencontrent assez souvent. Des lacs portant les noms de lettres de l'alphabet, de chiffres romains et arabes, de jours de la semaine, de mois de l'année, de notes de musique appartiennent à ces modes de désignation : Lac A, Lac Lundi, Lac Do, etc.
Les noms dédicatoires, c'est-à-dire ceux qui rappellent la mémoire d'une personne, ainsi que les toponymes transférés d'un lieu à un autre sont très nombreux dans le paysage toponymique français et anglais du territoire. Les personnes qui se sont illustrées dans la grande et la petite histoire du Québec ont eu droit à la reconnaissance de la toponymie qu'il s'agisse de noms de seigneuries, de circonscriptions électorales, de municipalités, de cantons, d'accidents du relief ou d'entités hydrographiques. Découvreurs, gouverneurs, intendants, missionnaires, militaires, hauts fonctionnaires, artistes, entre autres, ont ainsi été honorés. Et qui plus est, certains noms de personnages illustres identifient même plusieurs entités; c'est le cas, par exemple, du découvreur Jacques Cartier dont, en particulier, une rivière, deux lacs, un mont, une baie, une circonscription électorale gardent la mémoire. Le même mode dénominatif a joué dans la toponymie anglaise, les noms dédicatoires étant abondants. Par exemple, les gouverneurs généraux du Canada ont eu droit à cet honneur : Gosford, Sydenham, Aylmer, Bagot, Kempt, Haldimand; certains ont reçu une double consécration toponymique à cause de leurs noms composés : Carleton, lord Dorchester; Lennox, duc de Richmond. De même, les premiers occupants d'un lieu ont laissé leur patronyme : Adamsville (George Adams); Ayer's Cliff (Thomas Ayer); Brigham (Erastus O. Brigham). On pourrait multiplier les exemples.
Les noms de lieux transférés de France sont beaucoup moins nombreux que ce à quoi on pourrait s'attendre. Les tout premiers remontent au XVII e siècle. La Beauce (primitivement La Nouvelle Beauce), Gentilly et Brest. Et parmi les plus récents : Honfleur, Pierrefonds, Anjou, Champagne, Chambord, Saint-Malo, Gascogne, Candiac, Fontainebleau, Montauban, Issoudun, Vimy, Deauville, Bernières, Ivry, Auvergne, Dieppe, Angoulême, Bretagne. Il y a eu parfois des attractions paronymiques : par exemple, l'agglomération de Verdun, près de Montréal, ne rappelle pas celle du département de la Meuse, mais plutôt la commune de Saverdun, petite localité du département de l'Ariège. Dans la toponymie anglo-saxonne du Québec, les noms de lieux transférés de Grande-Bretagne et des États-Unis sont en revanche très nombreux, comme il a été signalé précédemment.
Les noms dédicatoires évoquant la mémoire de personnages ou des lieux étrangers sont également nombreux dans la toponymie québécoise. Dans le premier groupe on peut citer Labrador, Gomez, Pershing, Kalm, Kosciuszko, Christophe-Colomb, Gandhi, Fagundez, Sienkiewicz, Sobieski; et dans le second, Bethléem, Venise, Khartoum, La Palestine, L'Alverne, Lucerne, Namur, Geneva, Malakoff, Californie, Texas, Gethsémani, Casa-Berardi, Messines, Lidice, Saratoga, Padoue, Riga, Magenta, Îles Mariannes, Marquises, Lac Polynésien, Pointe des Américains, Lac U.S.A., Lac Tibériade. Chacun de ces noms a son histoire propre et les motifs de désignation sont très variables.
Les appellations religieuses constituent le troisième apport français important à la toponymie québécoise. C'est à Samuel de Champlain que l'on doit en particulier les toponymes Lac Saint-Pierre et Île Sainte-Hélène, « d'après sa femme Hélène Boullé ». Les hagionymes se multiplièrent aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans la mise en valeur du territoire, la marche de la colonisation et du peuplement s'est accompagnée presque toujours de la fondation de missions et plus tard de paroisses. Il en est résulté que, dans toutes les régions habitées, les noms religieux étaient déjà assez nombreux à la fin du XVIIIe siècle. Et leur nombre devait continuer d'augmenter au cours du siècle suivant. Plusieurs dénominations religieuses de municipalités se répètent assez souvent, d'où un problème important d'homonymie partielle et même totale. Ainsi : Notre-Dame, Saint-Joseph, Saint-Jean, Sainte-Anne, Saint-François, Saint-Louis, Saint-Pierre et plusieurs autres existent en plus de dix exemplaires. Afin d'éviter les risques de confusion pouvant résulter de cette homonymie majeure, un grand nombre d'hagionymes identifiant des municipalités sont accompagnés de déterminatifs. Ceux-ci suivent presque toujours les dénominations religieuses et puisent à des sources diverses. Il convient de citer quelques catégories avec des exemples de cette « bigarrure d'accouplements toponymiques » selon l'expression du folkloriste Luc Lacourcière; termes descriptifs ou à contenu géographique : Saint-Marc-du-Lac-Long et Saint-Tite-des-Caps; noms de « townships » : Saint-Jean-de-Cherbourg et Sainte-Catherine-de-Hatley; appellations autochtones : Saint-Ulric-de-Matane et Sainte-Geneviève-de-Batiscan; titres et lieux d'origine des saints personnages : Saint-Léon-le-Grand et Saint-Ignace-de-Loyola; points cardinaux : Sainte-Agathe-Sud et Saint-François-Ouest; noms d'anciennes seigneuries : Saint- Joseph-de-Beauce et Saint-Édouard-de-Lotbinière; une localité voisine : Sainte-Victoire-de-Sorel. Parmi les noms de lieux religieux d'origine anglaise, qui sont par ailleurs très peu nombreux, on peut signaler Saint-Patrice, Saint-Dunstan, Sainte-Brigitte, Saint-Colomban, Saint-Malachie.
Il y a quelque 108 000 toponymes officiels du Québec (statistique au 31 mars 1993), qui sont caractérisés par 270 types d'entités géographiques dont environ cent déterminent des détails topographiques naturels; environ 30 types d'entités administratives coiffent à peu près 7 000 unités. Il y a enfin dans la nomenclature 1 363 lieux-dits qui déterminent des entités de faible étendue. Pour illustrer notre propos, ces trois catégories d'entités géographiques seront examinées un peu plus en détail.
Parmi les toponymes officiels désignant des accidents géographiques, c'est le type d'entité lac qui compte le plus grand nombre de représentants avec ses 57 215 unités. Comme il y a au Québec 600 000 lacs, au minimum, force est de constater que moins de 10 % des plans d'eau ont reçu des noms officiels. Les autres types d'entités ayant officiellement reçu des noms, après les lacs, sont, par ordre de leur nombre d'occurrences, les ruisseaux (11 492), les îles et îlots (3 160), les rivières (2 977), les baies (2 102), les monts (1 148), les anses (1 043), les collines (758), les rapides (650), les chutes (446), les caps (435). Il est curieux de constater dans cette nomenclature des entités, qu'il n'y a que 14 forêts et 48 bois qui ont reçu des noms officiels au Québec. Pourtant, la forêt se rencontre partout dans la partie sud du territoire. Comment expliquer ce phénomène? Le toponymiste V. A. Nikonov fait appel au principe de « relativité négative » pour éclaircir ce fait. C'est que les toponymes reflètent souvent les caractéristiques exceptionnelles plutôt que les caractères typiques des lieux nommés. Les toponymes témoignent souvent, du fait de leur occurrence même, de la carence relative ou de la rareté du phénomène qu'ils évoquent, et inversement. Il faut aussi dire que la forêt québécoise est en général continue, de sorte qu'elle ne présente que rarement des parties détachées, susceptibles d'être identifiées dans des limites claires et reconnaissables.
Les entités administratives, ces espaces dont les limites ont été imaginées ou choisies par les autorités gouvernementales, comprennent tous les types de divisions territoriales, les agglomérations, de même que les lieux désignés pour certaines fins particulières comme les bureaux de poste. Plus précisément, les types d'entités concernés comprennent principalement, avec leur nombre d'occurrences : les hameaux (1 553), les cantons (1 549), les bureaux de poste (1 227), les municipalités (531), les municipalités de paroisse (370), les villes (258), les villages (249), les seigneuries (241), les municipalités de village (187), les circonscriptions électorales provinciales (125), les municipalités de canton (105), les municipalités régionales de comté (96), les zones d'exploitation contrôlée (81), les réserves écologiques (44), les réserves indiennes (29), les municipalités de village nordique (14), les parcs de conservation (10), les parcs de récréation (11), les villages cris (8).
Il faut aussi dire quelques mots sur les seigneuries, les municipalités et les cantons. Il y a eu, pendant le Régime français, environ 250 concessions seigneuriales. Toutes ces concessions aux seigneurs furent faites avec pouvoir de concéder à leur tour des étendues de terre à des colons ou censitaires. Aujourd'hui, des villages et villes qui se sont développés sur ces concessions (seigneuries) perpétuent toujours les noms des anciens légataires : Contrecœur, Verchères, Varennes, Boucherville, Lavaltrie, Repentigny, Sorel, Laprairie, Chambly. L'organisation territoriale de la seigneurie s'oriente dès le début vers deux formes d'habitat : la forme agglomérée ou groupée et la forme dispersée. La forme agglomérée prend naissance autour des ouvrages de défense et des églises paroissiales. Avec le temps, la plupart de ces noyaux évoluent vers des établissements plus serrés qui constituent les principaux villages. La forme dispersée apparaît avec la côte ou le rang, qui établit le modèle élémentaire de l'organisation de tout le territoire rural, la structure ordinaire de la paroisse. C'est cette structure territoriale que les premières grandes lois municipales vont établir pour constituer des municipalités : village (ville ou bourg), paroisse et canton dans les terres de la Couronne en dehors des seigneuries. Une loi fut adoptée en 1854 par la Chambre du Canada-Uni qui abolissait définitivement la tenure seigneuriale.
Il en va des municipalités comme de leur nom; au Québec, tous deux prennent leur origine des paroisses. L'idée paroissiale, écrit Julien Drapeau, dans l'Histoire du régime municipal au Québec, était l'une des institutions fondamentales; son élaboration fut l'œuvre du clergé, appuyé par les autorités civiles de la colonie. Elles se mirent d'accord sur un plan systématique de division de la Nouvelle-France en unités paroissiales, bien avant que les territoires en fussent peuplés. Ce qu'au début de la colonie, on appela du nom de « paroisse » était en réalité une entité abstraite en voie d'accommodement et d'adaptation à un milieu en formation : les premières paroisses comprenaient des superficies démesurées. « La première paroisse, Notre-Dame-de-Québec, n'est érigée qu'en 1664 et demeure l'unique paroisse jusqu'en 1678, lorsque monseigneur de Laval érige 14 paroisses, dont Ville-Marie », écrit Marcel Trudel dans l'Initiation à la Nouvelle-France. Ces paroisses étaient plus précisément des missions ou des districts paroissiaux; c'est d'ailleurs ce que révèle l'Édit ou Arrêt du Conseil d'État du Roi du 3 mars 1722 « qui confirme le Règlement fait par Messieurs de Vaudreuil et Bégon, et Monsieur l'évêque de Québec, pour le district des paroisses de ce pays, remis à Monsieur l'Intendant. » Presque chacun des 82 districts paroissiaux contenait plusieurs « villages » faisant partie soit d'une même seigneurie, soit de deux ou trois petites seigneuries. L'Édit de 1722 mentionne, par exemple, que le district paroissial de Charlesbourg comprend les villages de Gros-Pin, Saint-Jérôme dit L'Auvergne, Charlesbourg, Bourg-Royal, Saint-Romain et Pincourt, notamment.
Même s'ils ne devaient être canoniquement constitués en paroisses officielles que beaucoup plus tard après leur fondation, les villages se complétaient par eux-mêmes, petit à petit, des divers éléments constitutifs d'un organisme paroissial, proportionnés au degré de leur développement. Le jour où le village, note Julien Drapeau dans l'ouvrage précité, possédait un curé exclusif, il devenait concrètement « paroisse », à savoir une communauté de fidèles identifiée par un territoire précis.
La Loi municipale de 1845 (8 Vict., chap. 40) pourvoit à l'établissement de municipalités de paroisse, de municipalités de township et de municipalités sans désignation. Par une première proclamation, émise le 18 juin 1845, précise Julien Drapeau, 321 municipalités 167 sans désignation, 115 de paroisse et 39 de township furent établies. Comme le mentionne cette loi, il en fut ainsi, par exemple, pour « La municipalité de Terrebonne, comprenant la paroisse de St.Louis de Terrebonne, telle que canoniquement érigée, mais bornée au nord-est, au sud et au sud-est par les municipalités de Lachenaie et de St.François de Sales, Isle Jésus. »
Le 1er septembre 1847, la nouvelle loi municipale, « Acte pour faire de meilleures dispositions pour l'établissement d'Autorités Municipales dans le Bas-Canada » (10-11 Vict., chap. 7), entrait en vigueur et abrogeait celle de 1845. Elle remplaçait les municipalités de paroisse et de township par des municipalités de comté. C'est le 1er juillet 1855 qu'entrait en vigueur la Loi 18 Victoria, chapitre 100, « Acte des Municipalités et des Chemins du Bas-Canada » qui est à la base même du régime municipal actuel. En vertu de cette nouvelle loi municipale, 286 paroisses furent constituées de plein droit en municipalités de paroisse et 113 townships (cantons) en municipalités de township. Le Code municipal de 1871 permet de traduire township par canton.
Un des éléments importants de la toponymie administrative du Québec réside dans le quadrillage du territoire en cantons. L'Acte constitutionnel de 1791, à sa section 43, édictait que chaque terre pourra être concédée en franc et commun soccage, c'est-à-dire libre de toute redevance; en outre, les autorités accordaient « pleins pouvoirs et autorité » pour établir des cantons. Contrairement à la seigneurie qui fut essentiellement un système juridique mis en place pour favoriser un mode de peuplement, le canton est prioritairement un mode de division du territoire en vue de faciliter la concession des terres publiques à des particuliers sous la tenure du franc et commun soccage. On prévoit, selon le Répertoire des cantons du Québec, la division du canton en onze rangs comprenant chacun 28 lots.
Le premier territoire érigé en canton au Québec fut celui de Dunham, dans la région historique des Cantons-de-l'Est, dont la proclamation date du 2 février 1796. Ce jour-là, on octroyait à Thomas Dunn et ses associés une étendue d'environ 45 714 acres ou 18 515 ha de terre dans ce canton; 8 400 acres ou 3 360 ha étaient réservés pour la Couronne et 8 400 acres ou 3 360 ha pour le clergé. Les cantons de Brome, de Bolton et de Potton furent ensuite proclamés en 1797, Farnham en 1798, Hinchinbrooke, Hemmingford, Clinton, Armagh, Rawdon, Chatham, Buckingham et Dorset en 1799. Ces premiers cantons se localisent pour la plupart dans la région historique des Cantons-de-l'Est. Par la suite, l'établissement de cantons s'étendra dans l'arrière-pays du Saint-Laurent, sur la rive droite en aval de Québec et sur la rive gauche en amont de cette ville, le long de la rivière des Outaouais et en bordure de la baie des Chaleurs. Avec les débuts de l'occupation du Témiscamingue, vers 1885, et de l'Abitibi, vers 1911, la toponymie cantonale qui s'implante est presque exclusivement française. Cette nomenclature rappelle dans l'ensemble les noms d'hommes politiques canadiens, ceux de missionnaires, de membres du clergé et d'institutions religieuses, de découvreurs, d'administrateurs, de militaires et autres officiers de l'époque française, des noms de régiments français en Nouvelle-France, d'anciennes provinces de France. Le canton devint, par la suite, la base de certaines divisions administratives et il servit à l'établissement de territoires cadastraux. Depuis 1966, comme le note le Répertoire des cantons, aucune proclamation n'a été émise à l'effet d'ériger de nouveaux cantons même s'il existe toujours de vastes étendues du Québec qui n'ont été partagées ni en seigneuries ni en cantons. Pour certains cantons, des erreurs de graphie commises lors de leur proclamation ont été consacrées par l'usage : il en est ainsi, par exemple, pour Beaudoin, Figuery, Galifet et Sarrazin, dont les patronymes des personnes honorées s'écrivent Baudoin, Figuiéry, Gallifet et Sarrasin.
La troisième catégorie d'entités géographiques concerne les lieux-dits, ce type d'entité qui détermine des objets de faible étendue ayant reçu spontanément un nom inspiré de la géographie, de l'histoire ou du folklore. On relève 1 363 entités de ce type dans la nomenclature officielle. Ces toponymes, qui peuvent être anciens ou récents, sont de langue autochtone, française ou anglaise. Voici, très résumés, trois extraits de rubriques de lieux-dits au dictionnaire illustré Noms et lieux du Québec qui illustrent la variété de la nature des lieux classés comme « lieux-dits » :
1. HARLAKA - Ce nom algique détermine un espace de faible étendue de la ville de Lévis, en face de Québec. L'orthographe Arlaca avait paru sur des plans du XVIIIe siècle.
2. HENNEPIN - Attirées par les belles terres arables qui s'étendent à cet endroit de la municipalité de Saint-Léon-de-Standon, au sud de Québec, quelques familles sont venues s'y établir et le bureau de poste, ouvert en 1911, a pris le nom d'un récollet, missionnaire et explorateur. Ce lieu est maintenant inoccupé.
3. HAPPY MOUNTAINS - Lieu-dit situé au nord de la ville de Hull. Des pêcheurs et chasseurs ont fréquenté cet endroit où quelques personnes ont résidé. Détruit par un incendie, ce lieu est aujourd'hui abandonné.
Point n'est besoin d'insister davantage. On se rend compte que les entités géographiques sont aussi intéressantes que les processus dénominatifs et l'évolution des noms de lieux dans la toponymie québécoise.
La nomenclature toponymique du Québec se présente donc comme une mosaïque où se côtoient noms de lieux français et appellations d'autres origines linguistiques : autochtone et anglaise pour la plupart. Il est important aussi de mentionner que la dette du Québec envers la toponymie autochtone est très grande. C'est d'ailleurs par les noms de lieux autochtones que la couverture du territoire tire une part importante de son originalité. Si l'on s'en tient uniquement aux noms des espaces majeurs du territoire, on trouve une foule de noms de lieux autochtones: Québec, Abitibi, Outaouais, Témiscouata, Kamouraska, Saguenay, Matapédia, Témiscamingue, Ungava et Nunavik ne sont pas les seuls que l'on pourrait citer. Aux XVIIe et XVIIIe siècles notamment, les contacts établis entre les Blancs et les autochtones ont permis de connaître ces noms de lieux qui ont passé dans l'usage courant et qui, pour la plupart, ont été incorporés dans la langue québécoise pour en faire partie intégrante.
Le profil du trésor toponymique du Québec est donc le reflet conjugué d'une sédimentation de noms d'époques et de langues différentes et du respect dont se fait un devoir de les entourer la Commission de toponymie du Québec.
Haut de page »Date de la dernière mise à jour : 2023-08-04