Chroniques
L’attribution de noms de personnes pour désigner des lieux est une pratique courante. À preuve, en 2023-2024, les noms de quelque 285 personnes ont été retenus pour désigner des lieux du Québec.
Pour la majorité de ces personnes, c’était la première fois que leur nom était ainsi retenu. Ce fut le cas pour des personnalités ayant une grande notoriété, comme le hockeyeur Guy Lafleur, l’auteur-compositeur-interprète Karim Ouellet, l’écrivaine Marie-Claire Blais et le philanthrope André Chagnon, qui a cofondé avec son épouse la Fondation Lucie et André Chagnon visant à prévenir la pauvreté. Ainsi, les noms Autoroute Guy-Lafleur, Parc Karim-Ouellet, Bibliothèque Marie-Claire-Blais et Centre multisports André-Chagnon rappellent depuis peu leur souvenir.
Parmi toutes les nouvelles personnes dont les noms ont fait leur première entrée dans la nomenclature toponymique officielle cette année, la plupart ont laissé leur marque dans leur communauté ou leur région, ou encore dans leur domaine d’activité. Ces femmes et ces hommes méconnus, mais ayant fait des choses hors du commun, ont souvent eu un parcours de vie inspirant. La chronique de ce mois-ci présente d’ailleurs quelques-unes de ces personnes particulièrement dignes de mention.
Rodolphe Pagé (Saguenay, 1906 – id., 1980) est le premier aviateur canadien à avoir conçu, fabriqué et piloté son propre avion, l’Émérillon. En 1936, il a fondé la Ligue d’aviation Saguenay–Lac-Saint-Jean, puis cofondé la compagnie d’aviation Charlevoix-Saguenay, en 1937. Cette compagnie avait comme mission de transporter les malades, les personnes blessées et les femmes éprouvant des difficultés durant leur grossesse vers les hôpitaux de Chicoutimi et de Rivière-du-Loup. À cette époque, la région n’avait pas encore d’infrastructures routières hivernales.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les services de la compagnie Charlevoix-Saguenay ont été suspendus et Rodolphe Pagé s’est engagé comme volontaire dans l’Armée canadienne. En 1940, sa passion l’a mené à participer avec son avion au tournage du film hollywoodien Captains of the Clouds (Les chevaliers du ciel). Vers 1943, il est retourné aux Bergeronnes et a repris son service de transport aérien. Après avoir participé à la mise sur pied de nombreuses compagnies aériennes tout au long des années 1940, Rodolphe Pagé est retourné dans sa région natale, en 1957, et il a travaillé à la remise en service de l’aéroport de Saint-Honoré. Au terme de sa carrière, Rodolphe Pagé a reçu plusieurs hommages et décorations, dont l’Ordre du Canada, qui lui a été décerné en 1975 en reconnaissance des services qu’il a rendus dans le domaine de l’aviation. Une place commémorative située face à l’aéroport de Grandes-Bergeronnes honore la mémoire de ce pionnier.
Marguerite Bergeron (Alma, 1918 – id., 2004) est une militante qui a travaillé activement à l’avancement de la cause des femmes dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. En 1985, en raison de son engagement et de ses nombreuses implications sociales, elle a reçu le Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne ». Notons que l’affaire « personne » réfère au combat juridique qui a mené, en 1929, le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, alors la plus haute cour d’appel du Canada, à déclarer que le mot personne pouvait désigner aussi bien une femme qu’un homme. Une rue d’Alma rappelle le souvenir de Marguerite Bergeron.
Georgine Cummings (Les Îles-de-la-Madeleine, 1925 – id., 2015) était connue pour les soirées chantantes et dansantes qu’elle organisait à son domicile, une tradition familiale qu’elle avait reprise de son père. Elle doit sa renommée à sa passion pour la Mi-Carême, une fête carnavalesque traditionnelle qui n’est plus célébrée de nos jours, sauf dans quelques villages du Québec et de l’Acadie, dont celui de Fatima, aux Îles-de-la-Madeleine. Sa maison était l’une des plus fréquentées du village durant les célébrations, et Georgine Cummings était tellement associée à cet événement qu’à son décès, pour lui rendre hommage, les gens se sont costumés comme si c’était la Mi-Carême. À noter que les festivités de la Mi-Carême ont été désignées comme bien du patrimoine immatériel par le gouvernement du Québec. Une allée, située dans la municipalité des Îles-de-la-Madeleine à proximité de la maison où résidait Georgine Cummings, rappelle le souvenir de cette femme qu’on désignait comme la « reine de la Mi-Carême ».
Chronique parue le 27 juin 2024.
Date de la dernière mise à jour : 2024-07-10